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LE CHANTIER 2025 DE NOTRE PROJET REUNIONNAIS



Journal de Paul HOARAU
N° 264 – LUNDI 06 JANVIER 2025


L’unité, l’unité enracinée dans la diversité
Comme d’habitude, un tour de notre monde – nous en sommes – avant de revenir à La Réunion notre héritage. Quoi de mieux que de suivre « l’errance » d’Edmond Lauret  dans ses voeux-poème Bone érëz ané 2025 :
De Kourks à Gaza ,                                                                                                               
En passant par le Soudan, la Birmanie et le Liban                                                               
J ‘ai vu un monstre mondialisé bien intentionné                                                                 
De ses mille chevaux tout piétiner.

Tout est dit en peu de mots, en peu de mots qui en évoquent tellement d’autres, des cinq continents de notre « planète  encore un peu bleue ».

Et nous voilà de nouveau sur notre île. Que nous dit le poète ?
Sur mon île 
je me suis réfugié. 
Elle avait quelque chose de crispée
Et de désespérée : 
L’éden et l’enfer y cohabitaient, 
Sur fond d’ennui accablé.

Lo tan la pasé
…………………...
2024 s’en est allée, 
Sur la pointe d’une silencieuse morosité …
2025 s’est annoncée : Bone erëz ané 
Mais à quoi bon espérer ? 

2025 lé la !
Dan lo pli gro fénoir,
É minm dan tan coudevan, 
Néna touzour in tuit tuit i chante. 
Lave ton zoreil mounoir :
Ékout son cri lespoir. 


« L’espérance envers et contre tout » était le thème de mon dernier « Journal ». « Néna touzour un tuit tuit i chante - Lave ton zoreil mounoir – Ekout son cri lespoir ». Mais « quelque chose de crispée et de désespérée ; l’éden et l’enfer qui cohabitent » nous poussent « à quoi bon espérer ? »... Le chant du tuit tuit !

Quand on lit « les Réunionnais du Monde » qui disent partout, à travers ce qu’ils font, « kisa noulé, nou léla, sénou ki fé » ; quand on connaît les exploits de nos sportifs de haut niveau, quand on voit ce que peut être la qualité de notre production littéraire si riche, la qualité de nos artistes, chanteurs, comédiens, sculpteurs, peintres, la qualité de notre production artisanale, quand on voit ce que nos compatriotes, célèbres dans le monde, ont apporté à l’industrie sucrière, quand on voit ce que peuvent produire nos maraîchers, nos planteurs de lentilles de Cilaos, de vanille, de fruits, ce que produisent ceux qui restent de nos planteurs de géranium au Maïdo, de cacao ;  quand dans le rétroviseur nous jetons un regard sur le passé de notre Histoire : les marrons, les rois du milieu, Edmond Albius, Charles Desbassyns, Henri Hubert-Delisle, Frédéric Levavasseur, Aimée Pignolet de Fresne, Alexandre Monnet (pas d’évangélisation sans émancipation), Eugène Dayot, les « Fancs-Créoles », Henri Vavasseur, Jessu, Alfred Isautier, Pierre Lagourgue,  Paul Vergès, nous pouvons « ekout le chant lespoir » du tuit tuit , de « l’eden ».

Mais quand, pour commencer, on nous dit que nous n’existons pas, nous sommes dans «L’ETRE ET LE NON ÊTRE », le titre du livre de José Macarty et de Paul Mazaka :  dans « l’être » d’un peuple qui existe réellement, et dans « le non être » du déni de l’interprétation actuelle de l’unité nationale française qui n’est pas l’uniformité. 

Où est passée la réalité de « l’être » du Peuple Réunionnais   quand  nous-mêmes, nous n’acceptons pas la diversité de ce qu’a produit notre Histoire, Nous pouvons nous poser la question : « à quoi bon espérer ? », « l’enfer ». 

Les ségas, les romances, les maloyas, les poèmes, les chansons et les chants  de Fourcade, de Donat, des Jokari, de Daniel Vabois, des Pat’Jaune, de Firmin Viri, de Daniel Waro, de Gilbert Pounia, de Maxime Lahoppe, de Thiery Gauliris, de Pierre Vidot, de Jean Albany, de Gilbert Aubry et de tous les autres que je n’ai pas cités  et que je prie de m’excuser. Tous sont Réunionnais, authentiquement Réunionnais ! L’unité de la chanson, de la poésie, de la production littéraire s’enracine dans la diversité qui est le produit de nos origines africaines, asiatiques et européennes. 

La graphie de la langue créole, la graphie de 1977, la graphie universitaire, la graphie européenne, la graphie des publicités, les autres graphies en usage, sont, toutes, authentiquement réunionnaises. « Lofis la lang kréol La Rényonn», dans sa sagesse, a reconnu la légitimité de cette diversité. L’unité de notre langue que tout le monde parle s’enracine dans cette diversité réunionnaise qui est le produit de nos origines africaines, asiatiques et européennes.

Le métissage du Blan d’Europe, du Kaf d’Afrique, du Malbar et du Zarab d’Asie a fait le Réunionnais. Qu’il soit Blanc, Noir ou Brun, dans le Réunionnais il y a l’Afrique, il y a l’Asie, il y a l’Europe. Soyons-en fiers. De la rencontre de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe, compte tenu des rapports de forces et d’intérêts entre l’Europe et le monde africain et asiatique, au moment de cette rencontre, sont nés  des contentieux graves avec l’esclavage, l’engagisme et plus tard  les conditions de travail de l’époque. Tout cela a entraîné des ressentiments qui sévissent encore de nos jours et des blessures encore  profondes qui déchirent notre peuple : « l’enfer ! » 

Il ne faut pas oublier et il faut réparer. Mais il faut que ces situations consécutives  aux rencontres de civilisations étrangères les unes des autres, aux concepetions de l’Homme incroyables aujourd’hui et aux intérêts opposés défendus par des forces inégales, il faut que ces situations s’effacent sur chantier des Réunionnais non plus étrangers entre eux, mais devenus frères en Humanité, pour construire ensemble sur leur terre commune, en toute égalité, une société fidèle à ses origines diverses à « la manière réunionnaise » (pour reprendre la formule de Pierre Vidot) : une société réunionnaise. 

C’est cette société réunionnaise identifiée, reconnue et responsable qui est Française. Ce sont les peuples français de l’Amérique au Pacifique en passant par l’Europe et l’Asie qui font la nation française, nous dit Mario Serviable.

Conscients de notre « communauté de destin » (pour reprendre la formule de Gilbert Aubry), nous dirons tous ensemble d’une même voix, kisa noulé, nou léla, sénou kifé (Les Fondamentaux » de la Conférence des Mille) ; nous dirons kosa noufé (Les Propositions des Etats généraux de La Réunion quand ils seront rédigés). La profession de foi réunionaise du référendum local qui validera « Les Fondamentaux » et « Les propositions des Etats Généraux », n’est pas une affaire de parti, de classe,  d’association, l’affaire d’un comité : elle est l’affaire de tout le monde sur le chantier de « Projet d’un Peuple », l’affaire de tout le peuple. Personne, absolument personne n’en est exclu. 

Nous sommes encore loin du but. Rassemblons-nous pour trouver ce qui fera notre unité sans oublier les causes de notre division (les moyens de régler nos divisions par nous-mêmes, par étapes, feront partie des moyens que nous rechercherons). UN DES ÉLÉMENTS DE NOTRE CRISPATION ET DE NOTRE DÉSESPÉRANCE, c’est, précisément, que les nœuds gordiens de notre situation sont défaits par des arbitres qui ne sont pas nous, par des arbitres qui nous mettent d’accord sur des bases qui ne sont pas les nôtres, qui peuvent même être mortelles pour notre vie  commune.

Encore faut-il que notre volonté de dialoguer pour l’UNITÉ, elle aussi, soit plus forte que les raisons qui entretiennent nos DIVISIONS. C’est le dialogue qui nous fera trouver les chemins de l’unité. Trois règles s’imposent : 1. Dire qui nous sommes, sans chercher à cacher quoique ce soit (personne ne nous reprochera d’être ce que nous sommes) – 2. Ayant dit qui nous sommes, écouter ce que sont les autres (c’est le devoir d’écouter les autres qui nous donne le droit de dire qui nous sommes) _ 3. Dialoguer .

C’est le dialogue qui fera bouger les lignes ; c’est le dialogue qui va nous sortir de ce mal qui consiste à porter un jugement définitif sur les autres ; c’est le dialogue va nous faire évoluer et faire évoluer les mentalités (les nôtres et celles des autres). Sans cette évolution, rien ne changera.

L’objectif sera le référendum, pour passer de la population réunionnaise anonyme, irresponsable et prise en charge, au peuple identifié, reconnu et responsable. Entre autres changements, pour reprendre la formule de « L’Appel de Fort-de-France » : « refonder la relation de notre collectivité avec la nation ». C’est le dialogue aux deux conditions que nous avons posées, qui conduira au changement, dans la légalité, dans la fraternité, dans la paix. Sinon, le cumul des facteurs de division – impuissance, exclusions, ressentiments - finiront par faire exploser une expression de la volonté de changement dans la revendication par la violence, le feu et le sang. « Le Projet d’un Peuple » n’est pas  son organisation, mais une philosophie pour insuffler les fondamentaux de l’unité réunionnaises à ses organisations culturelles, politiques, économiques et sociales dans leur diversité.  

Pensons-y ! La folklorisation de notre Histoire, le déni de notre présent sont le principal danger qui menace notre avenir. Notre principal objectif sera de nous mettre à la hauteur de ceux qui devront être nos partenaires ; le Gouvernement, l’Europe, l’Indianocéanie et le Monde, un travail sur nous-mêmes. 

Lave ton zoreil mounoir :
Ékout son cri lespoir
Le cri du tuit tuit.


Paul HOARAU





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